La Conférence de Consensus


Les conférences de consensus réalisées jusqu'à ce jour portent sur des objets relativement délimités (pas trop abstraits) qui intéressent le public, requièrent l'intervention des experts scientifiques. Elles portent typiquement sur des choix technologiques soulevant des questions non résolues. Le panel des participants est constitué d'une quinzaine de volontaires d'âges et d'horizons différents et triés de manière à constituer un microcosme de la société. Ces conférences durent en moyenne trois jours. Elles réunissent en présence d'un public et de journalistes, le panel de citoyens et le panel d'experts chargés de les informer sur les conséquences de la technologie débattue et de répondre à leurs questions. à la mi-conférence débute la rédaction d'un document dans lequel le panel exprime, sans interférence extérieure, ses attentes, soucis et recommandations. Chacun des membres doit approuver le rapport final – les participants débattent jusqu'à parvenir à un consensus – destiné aux parlementaires, aux décideurs et au public pour tenter de combler le fossé les séparant des experts et pour élargir le débat grâce à la couverture accordée par les médias.

Une certaine ambiguïté plane autour du concept de consensus conference. Utilisée depuis longtemps par le monde médical, cette technique connaît depuis quelques années un nouveau regain d'intérêt à la suite de l'application innovante qu'en fait le Danemark.

Dès lors, il convient d'être particulièrement attentif au sens dans lequel on l'emploie, car même s'il convient d'étudier les deux variantes de cette méthode, les différences entre les variantes doivent être individualisées.

Il ne faudrait pas non plus tomber dans le travers inverse qui consisterait à ignorer la forme utilisée par le monde médical au seul prétexte qu'elle est ancienne et dépassée par les innovations introduites par les chercheurs nordiques. Il faut au contraire, croyons-nous, avoir la mémoire des méthodes d'autant plus que la place de l'application médicale des consensus conference dans ce milieu ne peut nous laisser indifférent. Son succès est impressionnant. Il suffit de consulter distraitement Internet pour en être convaincu.

Un bref descriptif

Ce dispositif vise à impliquer des citoyens profanes – Monsieur-tout-le-monde –, représentatifs de la population, dans les décisions portant sur des choix technologiques. Le label « conférence de consensus » s'explique par le fait que cette conférence – elle dure en moyenne trois jours – se passe sur le mode du dialogue entre les citoyens et les experts.

La conférence de consensus est d'une certaine façon, un processus participatif circulaire. La question est portée par les associations ou les parlementaires (des groupes de représentants ou d'acteurs sociaux) puis débattue publiquement en association étroite avec des citoyens « ordinaires » (comme acteurs et comme spectateurs) afin de soutenir l'émergence d'une certaine connaissance de la problématique ainsi que le choix des décideurs. Le dialogue organisé par médias interposés organise la circulation des idées et des connaissances afin de promouvoir d'une part une connaissance augmentée dans le public et d'autre part de rendre possible une décision.

Les prérequis

  • Des sujets pouvant convenir à une conférence de consensus :
    • Ils doivent être caractéristiques de la société (topical) ;
    • Pas trop abstraits et pouvant être sujets à délimitation ;
    • Présentant des conflits ;
    • Demandant des clarifications d'attitudes et d'objectifs ;
    • Dépendant d'une clarification par une contribution d'experts ;
    • La connaissance et l'expertise doivent être disponibles.
  • Des facilitateurs expérimentés ;
  • Une documentation qui sera mise à la disposition des participants ;
  • Une liste d'experts-témoins parmi lesquels les participants choisiront ceux qu'ils entendront ;
  • Des participants représentants les différents courants d'opinions.

Le nombre de participants et mode de sélection

Un maximum de 20 personnes – citoyens – et un maximum de 20 experts, assistés de facilitateurs.

L'organisateur sélectionne parmi les volontaires les personnes qui possèdent une combinaison de qualités socio-démographiques justifiant leur participation à un groupe représentant un microcosme de la société concernée (locale, régionale, nationale etc.). Ces personnes sont le porte-parole désintéressé de la société civile.

La durée

À la durée de la conférence proprement dite, il convient d'ajouter deux week-ends préparatoires au cours desquels les participants se familiarisent avec les informations sur les questions faisant l'objet de la conférence.

L'entièreté du processus prend de 4 à 6 mois.

Le déroulement

Concrètement, une quinzaine de volontaires d'âge et d'horizons différents, recrutés par petites annonces passées dans la presse, se retrouvent d'abord pendant deux week-ends pour se sensibiliser au thème de la conférence. La conférence elle-même dure trois jours et réunit, en présence d'un public et de journalistes, le panel de citoyens et le panel d'experts chargés de les informer sur les conséquences de la technologie débattue et de répondre à leurs questions. À la mi-conférence débute la rédaction d'un document dans lequel le panel exprime, sans interférence extérieure, ses attentes, soucis et recommandations. Chacun des membres doit approuver le rapport final : les participants débattent dans le but de parvenir à un consensus.

Le document final est l'expression de la mesure dans laquelle le panel profane peut se mettre d'accord.

Ce document est destiné aux parlementaires, aux décideurs et au public pour tenter de combler le fossé les séparant des experts et pour élargir le débat grâce à la couverture accordée par les médias.

Concrètement, un agenda typique se présente de la manière suivante :

  • Jeudi après-midi :
    • Le panel profane se réunit
  • Premier jour : vendredi - ouvert au public
    • Le panel expert répond aux questions préalablement posées par le panel profane
    • Après-midi : le panel profane se réunit
  • Deuxième jour : samedi
    • Matin : demi-journée ouverte au public
      • Le panel profane pose des questions de clarification aux experts
      • Dialogue avec le public
    • Après-midi et soir
      • Le panel profane prépare le document final
  • Troisième jour :
    • Le panel profane rédige le document final
  • Quatrième jour : lundi
    • Matin : demi-journée ouverte au public
      • Présentation et discussion du document final
    • Après-midi
      • Réception du panel profane, des experts et de la presse.

Un exemple de calendrier

  • Mars : mise en place du Comité directeur (CD)
  • 26 Avril : première réunion du CD - Agenda :
    • Introduction et bases du projet ;
    • Description du concept de consensus ;
    • Rôle du CD ;
    • Description du projet sur « l'infertilité »;
    • Le panel profane : son rôle, sa « formation », la publicité, la sélection et l'objet des deux week-ends préparatoires ;
    • Le facilitateur du panel profane.
  • Publicité pour rechercher les profanes
  • 17 Mai : deuxième réunion du CD
    • Agenda :- Introduction ;
    • Le facilitateur ;
    • Les propositions de questions-clefs par le CD, sur les causes et prévention de « l'infertilité » ;
    • Sélection des profanes ;
    • Sélection et contact avec des experts possibles ;
    • Discussion du matériel introductif pour les profanes.
  • Le secrétariat reçoit les candidatures de profanes
  • Le secrétariat propose un panel de 14 profanes
  • 21 Juin : troisième réunion du CD - Agenda :
    • Introduction ;
    • Sélection des profanes ;
    • Préparation de l'information du panel profane lors de son premier week-end préparatoire ;
    • Discussion du titre de la conférence de consensus ;
    • Discussion de la liste des experts.
  • 21-22 Août : quatrième réunion du CD - Agenda :
    • Rapport sur le premier week-end préparatoire des profanes ;
    • Discussion des experts sur les bases de ce premier week-end préparatoire ;
    • Planification du second week-end préparatoire des profanes ;
    • Discussion des éléments artistiques du premier jour de la conférence de consensus.
  • 18-19 Septembre : second week-end préparatoire pour les profanes
  • 20 Septembre : cinquième réunion du CD - Agenda :
    • Introduction ;Rapport sur le second week-end préparatoire des profanes ;
    • Discussion sur les questions-clefs ;
    • Proposition et sélection de la liste des experts ;
    • La structure de la conférence de consensus ;
  • Contact avec les experts
  • Publicité et annonce de la conférence de consensus
  • 29 octobre - 1er novembre : la conférence

Le processus dure donc ici plus ou moins huit mois.

Rôles du Comité Directeur

  • Garantir une réalisation juste et honnête en accord avec la description du projet, afin que le plus large éventail d'aspects concernés soit pris en compte ;
  • Approuver les décisions du secrétariat en ce sens ;
  • Définir le titre de la conférence de consensus ;
  • Réaliser tout ajustement de la description du projet et du calendrier ;
  • Approuver la composition du panel profane ;
  • S'assurer que le panel profane est muni d'une documentation formatrice et introductive (material), non biaisée et appropriée ;
  • Dresser une liste exhaustive des experts concernés afin d'établir une base pour les discussions du panel profane quant au choix des experts ;
  • Entériner la composition finale du panel expert ;
  • Approuver le programme de la conférence de consensus.

Le facilitateur du panel profane

Il a pour rôle de :

  • Mettre les gens à l'aise et les persuader de travailler ensemble ;
  • Gérer les week-ends préparatoires, y compris aider à formuler les questions-clefs ;
  • Présider et gérer la conférence de consensus ;
  • Assister (et diriger) la rédaction du document final par les profanes ;
  • Rappeler au panel profane les questions-clefs qui doivent recevoir réponse, afin quependant le travail sur le document final, les conclusions ne concernent pas des sujets non-discutés auparavant ;
  • Travailler en collaboration avec le directeur de projet (project manager) tout au long du processus

Le panel des profanes (les « non experts »)

Ce panel de 10 à 14 personnes est composé sur des critères variés :

  • Âge ;
  • Sexe (gender : genre) ;
  • Niveau de formation (éducation) ;
  • Activité professionnelle (occupation) ;
  • Répartition géographique.

Les tâches du panel profane

  • Acquérir une connaissance de base préalable sur le sujet en participant aux week-ends préparatoires et en lisant la documentation introductive ;
  • Dresser les questions principales et secondaires pour la conférence de consensus ;
  • Formuler des souhaits sur la composition du panel expert, sur la base de ses propresdiscussions et de la liste exhaustive préparée par le groupe organisateur (planning group) ;
  • Questionner les experts lors de la conférence de consensus ;
  • Se mettre d'accord sur les évaluations, les attitudes et les recommandations en rapportavec les questions-clefs de la conférence de consensus, sur la base des présentations par les experts et des débats lors de la conférence de consensus ;
  • Rédiger le document final.

L'expert

Un « bon » expert se caractérise par :

  • Sa capacité à être au courant de la connaissance la plus récente ;
  • Sa capacité à pouvoir présenter une vue générale (overview) ;
  • Sa capacité de bien communiquer ;
  • Il doit également pouvoir être réceptif aux débats ;
  • Il doit posséder à la fois une connaissance large et précise dans son domaine d'expertise ou
  • Être un expert de l'opinion.

Les rôles de l'expert

  • Répondre aux questions posées à lui individuellement en présentant sa réponse à la conférence ;
  • Ajouter à cette présentation son propre point de vue qui ne fait pas l'objet de la question posée (dans le temps imparti) ;
  • Répondre à des questions subséquentes du panel profane (le deuxième jour) ;
  • Être disponible tout au long de la conférence de consensus ;
  • Rédiger un texte de sa propre présentation, qui sera imprimé avec le document final lorsdu rapport conclusif.

Week-ends préparatoires

  • Objectifs :
    • Présenter et faire connaître les gens (profanes) entre eux ;
    • Introduire la méthode et le rôle du facilitateur ;
    • Fournir aux profanes la connaissance fondamentale qui pourrait former la base des questions-clefs dans la conférence de consensus ;
    • Clarifier les questions-clefs ;
    • Faire que les profanes indiquent le type d'expert qu'ils préfèrent pour répondre aux questions posées.
  • Les objectifs sont atteints de la manière suivante :
    • Présentation mutuelle des profanes et de leurs raisons à la participation à la conférence de consensus ;
    • Séances de brainstorming extensives au cours desquelles les profanes présentent leursattentes, leurs soucis et leurs questions relatifs au sujet ;
    • Formation équilibrée et honnête par une ou deux personnes professionnellemen tcompétentes, comme des professeurs de lycée ou des assistants d'université, comme supplément à la documentation introductive ; un temps nécessaire doit être laissé pour la clarification et la discussion des questions.

Tâches du directeur de projet (project manager)

  • Rédaction des décisions du groupe organisateur (planning group) ;
  • Trouver et embaucher le facilitateur ;
  • Gérer les auditions (hearing) des parties intéressées ;
  • Faire publicité et annonces pour la sélection des profanes, et répondre à toutes les lettres ;
  • Contacter et se mettre d'accord avec tous les experts ; remercier les experts non-retenus, quand le programme a été arrêté, gérer le budget ;
  • Contacter les médias – assistance matérielle dans la production du document final
  • Préparation et publication du rapport conclusif
  • Assurer la diffusion finale et le suivi.

Exemples

  • Ingénierie génétique dans l'agriculture et l'industrie (1987) ;
  • Aliments irradiés (1989) ;
  • Comment pourrions nous appliquer la connaissance croissante sur le génome humain ? (1989) ;
  • L'environnement (air) (1990) ;
  • Technologie dans l'éducation (1990) ;
  • Animaux technologiques. Interventions dans les gamètes des animaux supérieurs (1992) ;
  • Le futur de l'automobile privée (1993) ;
  • L'infertilité (1993) ;
  • Technologie de l'information sur la circulation routière (octobre 1994) ;
  • Les valeurs a minima (threshold values) (juin 1995) ;
  • Thérapie génétique (septembre 1995) ;
  • Consommation soutenable (écologiquement) (novembre 1996) ;
  • Technologie des pêcheries (novembre 1996) ;
  • Télétravail (mai 1997).

Le moment

Au début du processus décisionnel : séquences 2 (études préalables) ou 3 (définition des options).

Les avantages

  • La conférence de consensus est d'une certaine façon, un processus participatif circulaire. La question est portée par les associations ou les parlementaires (des groupes de représentants ou d'acteurs sociaux) puis débattue publiquement en association étroite avec des citoyens « ordinaires » (comme acteurs et comme spectateurs) afin de soutenir l'émergence d'une certaine connaissance de la problématique et de soutenir le choix des décideurs.
  • Le dialogue organisé par médias interposés organise la circulation des idées et des connaissances afin de promouvoir d'une part une connaissance augmentée dans le public et d'autre part de rendre possible une décision.
  • Les experts et les profanes ont des rôles bien définis, dans leurs relations réciproques.
  • Le processus est transparent.
  • Le public a l'accès à l'expertise.
  • Le consensus sur les attitudes et les recommandations au sein du panel profane sont obtenus au moyen de la discussion. Le document final est donc l'expression de la mesure dans laquelle le panel profane peut se mettre d'accord. Le consensus n'est pas de façade, dans la mesure où des opinions minoritaires peuvent se présenter.

Les inconvénients

  • Le temps de la sensibilisation au problème est compté car il s'agit de participants « profanes ».
  • Les coûts sont élevés.
  • La représentativité du groupe des participants est problématique.
  • Le consensus peut ne pas être atteint.

Études de cas et références

Exemples de conférences de consensus

France : le changement climatique – Cité des Sciences – 2001

Royaume-Uni : les déchets radioactifs – Londres, 1999

  • JOSS S. & DURANT J, 1994. Public participation in science. The role of consensus conferences in Europe, Science Museum (with the support of the European Commission Directorate General XII, London, 144 p.
  • JOLY P.-B., 2005. Debates and participatory processes: lessons from European experience, Forum science in Society, Brussels, 9-11 March 2005.
  • DECOUSUS H. & MISMETTI P., 1994. Limites des conférences de consensus, Thérapie, vol. 50, n° 3, pp. 191-193.
  • DUROCHER A., 1994. Les conférences de consensus : méthodologie et apports, Thérapie, vol. 50, n° 3, pp. 185-190.
  • MATILLON Y., DURIEUX P., DUROCHER A. & MENARD J., 1994. Les conférences de consensus : une analyse critique, (La) Presse médicale, vol. 23, n° 15, pp. 684-688.
  • MATILLON Y., ARDILA E., DURIEUX P. & PASQUIER J., 1994. Las conferencias de consenso : un analisis critico, Acta médica colombiana, vol. 19, n° 2, pp. 97-103.
  • VAN AKEN W.G., VAN DER DOES J.A., DUDOK DE WIT C. & VAN EVERDINGEN J. J. E., 1990. A consensus development conference on the practice of platelet transfusion in the Netherlands, International journal of technology assessment in health care, vol. 6, n° 1, pp. 163-174.

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